27 mai 2007

Camarades juristes: Eva, notre mère à tous!


L'ancienne juge d'instruction publie un livre de souvenirs en forme de réquisitoire contre les élites françaises.


Le titre de son livre, "La Force qui nous manque", s'adresse plus à nous qu'à elle. Eva Joly, l'ancienne juge d'instruction du pôle financier du Palais de Justice de Paris, célèbre pour son rôle dans l'affaire Elf, ne décolère pas contre les élites françaises, contre leur complaisance vis-à-vis de la corruption, contre leurs petits arrangements avec la justice, contre l'indulgence coupable de l'opinion publique...

De passage à Paris quelques jours après le départ de Jacques Chirac de l'Elysée, et donc de sa perte d'immunité présidentielle, elle affirme haut et fort, dans une interview à Rue89, que la justice doit reprendre ses droits dans les affaires dans lesquelles apparaît le nom de l'ancien chef de l'Etat. La France, estime-t-elle, se déconsidèrerait à enterrer les dossiers qui concernent le "retraité de l'Elysée", et l'opinion, que l'on sent peu mobilisée sur ce front, ne doit pas s'en désintéresser. (Voir la vidéo)




De même, Eva Joly, dont les récentes activités dans la lutte anticorruption pour le compte du gouvernement norvégien lui ont fait entrevoir tant de secrets de famille franco-africains, ne cache pas sa colère de voir que l'un des premiers chef d'Etat étranger à rendre visite à Nicolas Sarkozy à Paris, n'est nul autre qu'Omar Bongo, le président gabonais, figure emblématique d'une liaison incestueuse entre la France et ses anciennes colonies (Bongo est le deuxième chef d'Etat étranger à rendre visite à Sarkozy, après la présidente du Libéria). La rupture, décidément, n'est pas au rendez-vous, là où elle semblerait pourtant la plus nécessaire. (Voir la vidéo)




Eva Joly revient donc sur le devant de la scène française, non pas officiellement, mais pour livrer "sa" vérité. Celle de son itinéraire personnel, la jeune fille au pair aux tresses blondes venue du pays des fjords, et qui finit par défier le pouvoir politico-affairiste français en menant les enquêtes judiciaires là où elles font le plus mal. Cela donne un livre, écrit en collaboration avec la journaliste Judith Perrignon, qui mêle souvenirs personnels, heureux ou douloureux, et retours sur les leçons d'une action judiciaire qui lui a coûté cher. La petite histoire dans la grande histoire.

On lira avec délectation sa galerie de portraits des hommes puissants qui ont défilé dans son cabinet de juge d'instruction: on y retrouve "le poète", François Léotard; "le comédien", Bernard Tapie, "l'ancien combattant ou plutôt son fils", Jean-François Pagès; "le fils qui fait mentir sa vieille mère", Loïk Le Floch-Prigent...

Et il y a Roland Dumas, "le plus célèbre d'entre eux", "le plus mondain des hommes". Eva Joly cache mal son dégoût de voir que l'ancien ministre des Affaires étrangères de François Mitterrand ne subira qu'une seule condamnation, dans l'affaire de la succession du sculpteur Giacometti. "Tout le monde sait quel homme il est, mais on hausse les épaules et on s'incline devant le raffinement de ce manipulateur. Machiavel est donc un prince", écrit-elle.

Le réquisitoire d'Eva Joly est dérangeant, non pas tant par les faits qu'elle dénonce, que par le "miroir", comme elle dit elle-même, qu'elle tend à la France. Ce qu'on y voit n'est pas reluisant. On mettra cette colère froide sur le dos du tempérament inflexible de cette Scandinave qui n'a pas su adopter nos rondeurs méditerranéennes.

On aurait tort: ce qu'elle dit est d'une actualité brûlante, au moment où le pouvoir politique change, sans que les moeurs n'évoluent. Eva Joly ne pouvait pas espérer mieux, pour illustrer son propos, que de débarquer à Paris au moment où un conseiller du nouveau président passe chez TF1... (Voir la vidéo)





Il y en a un qui va se faire engueuler à VSD...

Pour ceux qui n'auraient pas suivi l'affaire VSD, je mets sur mon blog, l'article de Rue 89 à ce propos. Voyez vous même, c'est assez, comment dire, c'est assez... C'est énorme!!! Petit acte de résistance ou hasard de la programmation publicitaire?




"Une semaine avec les Sarkozy: leur nouvelle vie." A priori, rien de très original dans le VSD de cette semaine. Sauf que lorsqu'on déplie la demi-page publicitaire de couverture, surprise...

Pour agrandir la photo, il vous suffit de cliquer dessus


Et par transparence, l'effet est encore plus saisissant:


Alors, coïncidence ou pas?

Joints par téléphone, la rédaction de VSD et le service de communication de Skoda nous ont assuré qu'il s'agissait d'un pur hasard. Un hasard qui les a d'abord fait rire, avant de les agacer de plus en plus devant le nombre d'appels reçus.

26 mai 2007

A quoi sert un idéal politique?

"Mais si nous découvrons ce qu'est la justice,
jugerons-nous que l'homme juste ne doit lui-même aucunement
différer de la justice, mais lui être à tous égards conforme ? Ou
alors nous satisferons-nous qu'il s'en rapproche le plus possible
et qu'il en participe plus que les autres ?"


Platon, La République

Utopie ou réalité ?


Quel est le programme politique le plus souhaitable ? Celui qui, réaliste, prend les hommes comme ils sont ou bien celui, idéaliste, qui les croit meilleurs qu’ils ne sont ?

A première vue il n’y a pas matière à débat : il faut donner la préférence au réalisme ! A quoi bon imaginer comme Platon dans La République ou Les Lois une société parfaitement juste ? Une société où il n’y aurait par exemple plus besoin de tribunaux ni de châtiments, où chacun remplirait son rôle librement sans jamais faire tort aux autres, est aussi belle que chimérique. Les hommes, dira-t-on, sont incapables d’une telle vertu…

Ne vaut-il pas mieux des projets moins ambitieux, mais plus réalistes, qui n’en demandent pas trop à la faible nature humaine ? D’ailleurs l’expérience ne confirme-t-elle pas tous les jours l’imperfection des hommes ?

Tout idéal politique est peut-être un rêve. Mais le fait qu’on ne puisse le réaliser tel quel n’implique pas qu’il faille y renoncer. Car pourquoi ne pourrait-on pas au moins s'en rapprocher? Mieux, on peut espérer que les progrès seront d’autant plus importants que l’objectif est placé haut. En revanche, moins on demande, moins on obtient.

Il semble même que seule la recherche de la perfection peut améliorer la situation politique. Par exemple l’idéal d’un accord parfait de toutes les libertés n’existe nulle part : c’est une utopie. Mais là réside justement son intérêt, car, en empêchant de se contenter de ce qui est, il rend possible un progrès indéfini dans cette direction. La valeur de l'idéal n’est pas d’exister, mais de faire progresser. Au fond, c’est le rêve qui inspire.

Ainsi, de deux programmes, le plus réaliste n’est pas toujours celui qui se dit tel.




25 mai 2007

Un peu de littérature avant Rolland Garros

Denis Grozdanovitch, champion junior de tennis, récidiviste au squash et à la Courte Paume, éducateur sportif durant de longues années, est un contemplatif contrarié doublé d’un écrivain habile qui se joue des mots et des situations pour nous révéler sa nature profonde : joueur invétéré, adorable séducteur menteur, excellent littérateur, superbe piégeur d’anges et de diables ! Il nous invite à partager de brefs aperçus sur l’éternel masculin, hanté par une fascinante «tyrannie du détail», par une estimable et bienveillante envie de collectionner les traces. On en n’attendait pas moins de ce sauveur du bonheur, obsédé à temps plein comme Lartigue, ce photographe tennisman habité du besoin irrépressible de témoigner des derniers moments d’un monde social en voie de disparition. Il fixe pour nous ces instants fugitifs et merveilleux de l’existence où l’efficacité et la rentabilité, slicées en fond de court, s’effacent devant une gestuelle esthétique et philosophique de l’existence. Sportif face au destin comme sur le terrain, cet ancien «mauvais perdant et plutôt colérique dans l’adversité» va épater la galerie dans cet exercice difficile et réussi De l’art de prendre la balle au bond, et en laisser probablement quelques-uns sur le carreau, face à la complexité réglementaire du jeu de la Courte Paume (sport relativement confidentiel, gare aux paumés).

Ce petit traité, où la compétition à outrance fait plus de
dégâts que de vainqueurs, ratisse avec subtilité et bonne humeur les terrains où les balles de drap, de liège, de chiffon, de caoutchouc ou de cuir, sont à l’honneur. C’est avec une légèreté heureuse et une magie littéraire très personnelle, que Denis Grozdanovitch, éternel joueur hédoniste en marge du pragmatisme moderne, nous initie à la pratique ancestrale et contemporaine des jeux de raquettes. Militant intarissable de l’esprit ludique — plaisir du jeu, gratuité de l’effort, camaraderie au sein de l’équipe — il dresse une galerie de portraits guignolesque et rabelaisienne. Adepte du bovarysme, ce fervent disciple de Jules de Gauthier souligne avec drôlerie et finesse les glissements mentaux pervers des sportifs de tout poil, amateurs et professionnels, à travers sa longue et perplexe expérience du sacerdoce de l’enseignement d’une mécanique gestuelle qu’il préfère sagement vivre comme une démarche spirituelle. «À une époque d’efficacité et de rentabilité à tout prix, engager la question du style en sport, et notamment au tennis, relève de la provocation désuète ou de la légèreté inconsciente». Le bonheur de donner faisant le bonheur des écrits et des lectures, et toujours selon la logique compensatoire qui lui est chère, Denis Grozdanovitch nous montre à grand renfort de rires, rouerie, courage, pratique de l’intox, travail de sape et j’en passe, le subtil chemin emprunté par de belles âmes. «C’est d’ailleurs à cela que sert principalement la littérature : créer une camaraderie de soutien moral à distance entre ceux qui éprouvent les plus grandes difficultés à s’intégrer au monde tel qu’il est !» Instants de grâce, poésie, beauté du geste, fluidité du mouvement, partage dynamique, complice, contagieux. Tous les insouciants heureux qui habitent ses pages déclarent leur engouement éphémère, passager, amoureux pour le sport. «Pour ma part, il me semble que la pratique du jeu de paume, pour ne pas le nommer, a toujours été liée, plus ou moins inconsciemment, avec celle de l’écriture». L’émotion que suscite le style de Denis Grozdanovitch — alternance de dialogues emportés ou pleins de bon sens, clichés entendus au café du commerce, gouaillerie, petits traités philosophiques, réflexions précises, détaillées et profondes, citations littéraires lumineuses, longues phrases élégantes d’une exigence esthétique et sensuelle rares — au-delà de la cocasserie ou de la dramaturgie latente des scènes évoquées et tirées de ses précieux carnets, pousse le lecteur passionné — avec un art consommé de la dérision — à faire un parallèle : le sport et la littérature demeurent-ils toujours aujourd’hui un plaisir, un besoin irrépressible de transmission, une vie rieuse par procuration, une gratuité ludique ? Avec Denis Grozdanovitch, nous n’en doutons plus !

Pascale Argued


De ce face-à-face entre deux joueurs, entre deux équipes, c’est d’une certaine façon une vision du monde et de ses équilibres, des hommes et de leur commerce qui se révèlent. Quelles réflexions peuvent déclencher un affrontement sur la terre battue : sur le courage, l’obsession, la rouerie ? Y a-t-il un art de l’intox pour saboter le jeu d’un rival… la force d’un ennemi ? L’enseignement doit-il être considéré comme un sacerdoce quand la part de la psychologie se révèle plus importante que la technique ? Pourquoi l’esprit d’équipe est-il aussi important en sport que dans l’Histoire et dans la vie ? En une dizaine de textes - où selon son humeur, il se révèle philosophe, physicien, psychologue ou juste amoureux du sport - De l’art de prendre la balle au bond est un authentique traité de plaisir, d’apprentissage, d’humour.« Quand la balle arrive, pour bien la renvoyer, il faut la prendre au centre du tamis. En littérature, c’est pareil. Si vous vous trompez sur le détail significatif, ça ne résonne pas », affirme l’auteur avec qui on peut être sûr que la balle est frappée au centre … et avec inspiration.

Pour conclure, je vous rappellerai chers lecteurs, que "De l'art de prendre la balle au bond", il est toujours plus facile de jouer avec les mots que de jouer sur les lignes! Fins limiers, nous nous entendons ;o)

Dans quel monde vit-on?


Ce que l'on pouvait lire il y a quelques temps sur la devanture d'une boulangerie dans un petit village de campagne... Mais où va le monde, je vous le demande?


"L'opinion publique est la clé. Avec l'opinion publique, rien ne peut faillir. Sans lui, rien ne peut réussir. Celui qui manipule les opinions est plus important que celui qui applique les lois."

Abraham Lincoln


"Des centaines de milliards de dollars sont dépensés chaque année pour contrôler l'opinion publique."

"Il est une chance que les gens de la nation ne comprennent pas notre système bancaire et monétaire, parce que si tel était le cas, je crois qu'il y aurait une révolution avant demain matin."

Henry Ford

"La plupart des gens préfèrent croire que leurs dirigeants sont justes et équitables même en face de preuves du contraire, puisque lorsqu'un citoyen reconnaît que le gouvernement sous lequel il vit ment et est corrompu, il doit décider de ce qu'il compte faire.

Poser des actions face à un gouvernement corrompu représente des risques d'atteintes à sa vie ou à celles d'êtres chers. D'un autre côté, choisir de ne rien faire implique de trahir toute idéologie personnelle "de défense de ses principes".

La majorité des gens n'ont pas le courage de faire face à ce dilemme. Par conséquent, la plupart de la propagande n'est pas conçue pour tromper l'esprit critique, mais simplement pour donner aux lâches d'esprit une excuse pour ne pas penser du tout."





11 mai 2007

Journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage

Dans le cadre de la commémoration de l'abolition de l'esclavage, une sculpture de Fabrice Hyber a été inaugurée dans le jardin du Palais du Luxembourg en présence de nombreux responsables politiques, notamment de Jacques Chirac et de son futur remplaçant. Il s'agit d'une sculpture de bronze symbolysant l'abolition de l'esclavage. L'oeuvre polychrome de 3,70 m de haut constituée de trois anneaux est nommée "Le cri, l'écrit" car elle symbolise "le cri, marque de l'abolition de l'esclavage, un asservissement aboli par les textes, mais aussi la mise en garde contre l'esclavage moderne".
Selon le plasticien, l'abolition de l'esclavage est symbolisée par "l'anneau de chaîne ouvert, l'anneau fermé c'est que tout peut recommencer et le piètement c'est le retour aux racines, mais c'est aussi la Terre qui est un boulet", écrit-il.


En ce jour de commémoration, Youssou N'Dour a magistralement interprété au cours de cette cérémonie d'inauguration au jardin du Luxembourg une chanson intitulée "New Africa", un chant de l'espoir du continent africain et du monde noir. Plus que jamais, nous devons nous mobiliser contre cette infamie. L'honneur de la France est d'être à la pointe de ce combat pour la dignité et les droits de l'Homme.





04 mai 2007

Pourquoi Jean-Marcel Jeanneney, ancien ministre du général de Gaulle, votera Ségolène Royal le 6 mai prochain

Jean-Marcel Jeanneney, né le 13 novembre 1910 à Paris, est un homme politique et un économiste français.

Fils unique de Jules Jeanneney (député, président du Sénat, ministre d'Etat du gouvernement provisoire - 1944-1945-), il est licencié ès lettres, diplômé en économie à l'Ecole libre des sciences politiques (1936), docteur en droit et agrégé de sciences économiques. Il a enseigné aux Universités de Grenoble et de Dijon. Il est lieutenant de chasseurs alpins en 1939-1940.

Il est le père de huit enfants dont Jean-Noël Jeanneney, ancien président de Radio France et ancien président de la Bibliothèque nationale de France (jusqu'au 1er avril 2007).

De 1944 à 1946, il est directeur de cabinet de son père, ministre d'État dans le Gouvernement provisioire de la République française. Il participe au comité Rueff Pinay, réuni en 1958 par Jacques Rueff pour étudier la réforme économique française. Ministre de l'Industrie, puis de l'Industrie et du commerce dans le gouvernement Debré (1959-1962), il est ensuite nommé ambassadeur et haut représentant de France en Algérie (juillet 1962 - janvier 1963), le premier après l'indépendance.

Il est nommé au Conseil économique et social en 1964, et est ministre des Affaires sociales du 8 janvier 1966 au 31 mai 1968 dans les gouvernements Pompidou 3 et 4. Lors des élections législatives de juin 1968, il est élu député (UDR) de l'Isère contre Pierre Mendès France. Il est ministre d'État chargé de la Réforme constitutionnelle et de la régionalisation du 10 juillet 1968 au 20 juin 1969 dans le gouvernement Couve de Murville, puis assume l'intérim du ministre de la Justice du 28 avril au 20 juin 1969. Il est en charge du dossier de la régionalisation et la réforme du Sénat qui est repoussé lors du référendum du 27 avril 1969, entraînant le départ du général de Gaulle.

De 1967 à 1989, il est maire de Rioz (Haute-Saône). Il siège également au Conseil général de la Haute-Saône.

En 1974, il appelle à voter pour François Mitterrand au second tour de l'élection présidentielle. Il vote également pour le candidat socialiste en 1981, mais sans prendre position publiquement, « en raison de [ses] relations amicales avec Barre». En 2007 il appelle une fois de plus à voter pour le candidat du Parti Socialiste dans une lettre adressée au Nouvel Observateur et relayée sur le site de Ségolène Royal.

Il enseigne comme professeur de politiques économique à l'Université de Paris I à partir de 1970 et entre à la Fondation nationale des sciences politiques (FNSP). Il participe en 1981 à la création de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et le préside jusqu'en 1989.


Plusieurs fois ministre du général de Gaulle de 1959 à 1969, Jean-Marcel Jeanneney, professeur de droit et économiste de renom, est l’une des grandes figures de la Vème République. Il compta parmi les artisans du redressement économique et industriel de la France, mais joua également un rôle considérable au moment de l’indépendance de l’Algérie, en tant qu’ambassadeur et haut représentant de la France à Alger en 1962-1963. Avec la confiance jamais démentie du général de Gaulle, il fut un infatigable défenseur de la République et de l’Etat. Ce parcours s’inscrit dans une destinée familiale…



Il a aussi fait paraître une lettre ouverte à Mme Ségolène Royal dans le nouvel observateur publiée dans la chronique de M. Jacques Julliard.


Ségolène et de Gaulle


NOUVELOBS.COM


Le général de Gaulle – c’est une première dans l’histoire de l’élection présidentielle depuis 1958 – aura été totalement absent de la campagne en cours. C’est pourquoi je crois utile et même nécessaire, le temps et l’espace d’une chronique, de m’effacer au profit de la "Lettre ouverte à Ségolène Royal" que nous a adressée Jean-Marcel Jeanneney, le dernier ministre survivant, avec Pierre Messmer, du général de Gaulle.


"MADAME, je ne vous ai entendue et vue qu’à la télévision. Mais vos propos, votre manière d’être, ont fait que, depuis plusieurs mois déjà, j’étais enclin à voter pour vous le 22 avril. Ayant lu attentivement votre livre, "Maintenant", je ne doute plus de le faire.

Je suis un très vieux monsieur. Ministre du Général de Gaulle à trois reprises, je fus un des rares qui eurent l’honneur d’être reçu par lui à Colombey, après qu’il eut, en parfait démocrate, démissionné de la présidence de la République parce que désavoué lors du référendum qu’il avait décidé.

Je suis fidèle à sa mémoire. La France, au cours de sa longue histoire, n’a guère eu de chef d’Etat de cette envergure, parfaitement indépendant de toutes les puissances financières et de tous les dogmes politiques, ne se laissant intimider par quiconque, discernant ce qu’allait être l’évolution du monde et percevant ce qu’étaient les intérêts à long terme de son pays. Mais je n’ai jamais cru à la possibilité d’un gaullisme sans de Gaulle et je me suis vite désolidarisé de ses prétendus héritiers.

Cela dit – et sans vouloir vous écraser sous une telle référence en vous assimilant à cette très haute figure – j’ai le goût de vous dire que je constate d’assez nombreuses analogies entre ses idées et les vôtres, telles qu’elles apparaissent au long de vos trois centaines de pages. D’abord le volontarisme politique, puis l’attachement à la nation, à son passé et à son avenir, comme fondement nécessaire aux solidarités entre les individus vivant sur son sol ; la prise en compte des aspirations populaires mais sans soumission systématique à l’opinion ; l’idée, que de Gaulle énonça dès mars 1968 dans un discours à Lyon, que les activités régionales sont les ressorts de la puissance économique de demain ; encore, le fait que la France, dans un mode menaçant, ne doit pas renoncer à une puissance militaire forte.

Entre vous et lui, il est encore un trait commun : quand on lui exposait un problème de façon abstraite, il vous interrompait : "Alors ! Pratiquement, que proposez-vous ?" Or toujours vous proposez ou esquissez une solution concrète.

J’ajoute que vous rejoignez le général de Gaulle sur trois points, de grande importance. Le premier est la sobriété que vous voulez dans le comportement quotidien de la présidence de la République et du gouvernement. Le deuxième est le recours à l’article 11 de la Constitution, que vous devrez inévitablement utiliser pour modifier celle-ci, en particulier concernant le Sénat. Le troisième est que, comme lui, vous vous appuyez sur un parti, ce qui est indispensable, mais que, comme lui, vous êtes d’un tempérament assez fort pour pouvoir, quand besoin est, vous en affranchir.

Madame la candidate, je vous souhaite de tout cœur bonne chance et vous assure de la grande considération que j’ai pour votre culture gouvernementale, pour votre intelligence, votre sensibilité et votre caractère."


Coïncidence. Au moment où Jean-Marcel Jeanneney nous adressait cette lettre, dont il n’est pas nécessaire de souligner l’importance et l’originalité, Jean-Noël Jeanneney, son fils, quittait la présidence de la Bibliothèque Nationale de France. "Atteint par la limite d’âge", comme on dit. Mais derrière ce crétinisme administratif, il y a le sectarisme partisan : avant de quitter le pouvoir, Jacques Chirac sature la haute administration de ses créatures, dont évidemment l’ancien ministre de François Mitterrand n’était pas. Jean-Noël Jeanneney aurait très bien pu bénéficier des dispositions qui ont permis aux présidents de l’Opéra de Paris ou du Musée Guimet d’achever leur mandat au-delà de cette limite... Ségolène Royal a promis de mettre fin à ces mœurs claniques. En attendant, saluons celui qui est devenu en cinq années seulement un grand président de la BNF. Il lui a redonné la sérénité, l’initiative, la fierté de sa mission. Grâce à lui, la BNF a quitté la rubrique des faits divers et des conflits sociaux pour celle de la recherche et de la culture. Un grand serviteur de l’Etat ! J.J.

(le jeudi 12 avril 2007)