25 mai 2007

Un peu de littérature avant Rolland Garros

Denis Grozdanovitch, champion junior de tennis, récidiviste au squash et à la Courte Paume, éducateur sportif durant de longues années, est un contemplatif contrarié doublé d’un écrivain habile qui se joue des mots et des situations pour nous révéler sa nature profonde : joueur invétéré, adorable séducteur menteur, excellent littérateur, superbe piégeur d’anges et de diables ! Il nous invite à partager de brefs aperçus sur l’éternel masculin, hanté par une fascinante «tyrannie du détail», par une estimable et bienveillante envie de collectionner les traces. On en n’attendait pas moins de ce sauveur du bonheur, obsédé à temps plein comme Lartigue, ce photographe tennisman habité du besoin irrépressible de témoigner des derniers moments d’un monde social en voie de disparition. Il fixe pour nous ces instants fugitifs et merveilleux de l’existence où l’efficacité et la rentabilité, slicées en fond de court, s’effacent devant une gestuelle esthétique et philosophique de l’existence. Sportif face au destin comme sur le terrain, cet ancien «mauvais perdant et plutôt colérique dans l’adversité» va épater la galerie dans cet exercice difficile et réussi De l’art de prendre la balle au bond, et en laisser probablement quelques-uns sur le carreau, face à la complexité réglementaire du jeu de la Courte Paume (sport relativement confidentiel, gare aux paumés).

Ce petit traité, où la compétition à outrance fait plus de
dégâts que de vainqueurs, ratisse avec subtilité et bonne humeur les terrains où les balles de drap, de liège, de chiffon, de caoutchouc ou de cuir, sont à l’honneur. C’est avec une légèreté heureuse et une magie littéraire très personnelle, que Denis Grozdanovitch, éternel joueur hédoniste en marge du pragmatisme moderne, nous initie à la pratique ancestrale et contemporaine des jeux de raquettes. Militant intarissable de l’esprit ludique — plaisir du jeu, gratuité de l’effort, camaraderie au sein de l’équipe — il dresse une galerie de portraits guignolesque et rabelaisienne. Adepte du bovarysme, ce fervent disciple de Jules de Gauthier souligne avec drôlerie et finesse les glissements mentaux pervers des sportifs de tout poil, amateurs et professionnels, à travers sa longue et perplexe expérience du sacerdoce de l’enseignement d’une mécanique gestuelle qu’il préfère sagement vivre comme une démarche spirituelle. «À une époque d’efficacité et de rentabilité à tout prix, engager la question du style en sport, et notamment au tennis, relève de la provocation désuète ou de la légèreté inconsciente». Le bonheur de donner faisant le bonheur des écrits et des lectures, et toujours selon la logique compensatoire qui lui est chère, Denis Grozdanovitch nous montre à grand renfort de rires, rouerie, courage, pratique de l’intox, travail de sape et j’en passe, le subtil chemin emprunté par de belles âmes. «C’est d’ailleurs à cela que sert principalement la littérature : créer une camaraderie de soutien moral à distance entre ceux qui éprouvent les plus grandes difficultés à s’intégrer au monde tel qu’il est !» Instants de grâce, poésie, beauté du geste, fluidité du mouvement, partage dynamique, complice, contagieux. Tous les insouciants heureux qui habitent ses pages déclarent leur engouement éphémère, passager, amoureux pour le sport. «Pour ma part, il me semble que la pratique du jeu de paume, pour ne pas le nommer, a toujours été liée, plus ou moins inconsciemment, avec celle de l’écriture». L’émotion que suscite le style de Denis Grozdanovitch — alternance de dialogues emportés ou pleins de bon sens, clichés entendus au café du commerce, gouaillerie, petits traités philosophiques, réflexions précises, détaillées et profondes, citations littéraires lumineuses, longues phrases élégantes d’une exigence esthétique et sensuelle rares — au-delà de la cocasserie ou de la dramaturgie latente des scènes évoquées et tirées de ses précieux carnets, pousse le lecteur passionné — avec un art consommé de la dérision — à faire un parallèle : le sport et la littérature demeurent-ils toujours aujourd’hui un plaisir, un besoin irrépressible de transmission, une vie rieuse par procuration, une gratuité ludique ? Avec Denis Grozdanovitch, nous n’en doutons plus !

Pascale Argued


De ce face-à-face entre deux joueurs, entre deux équipes, c’est d’une certaine façon une vision du monde et de ses équilibres, des hommes et de leur commerce qui se révèlent. Quelles réflexions peuvent déclencher un affrontement sur la terre battue : sur le courage, l’obsession, la rouerie ? Y a-t-il un art de l’intox pour saboter le jeu d’un rival… la force d’un ennemi ? L’enseignement doit-il être considéré comme un sacerdoce quand la part de la psychologie se révèle plus importante que la technique ? Pourquoi l’esprit d’équipe est-il aussi important en sport que dans l’Histoire et dans la vie ? En une dizaine de textes - où selon son humeur, il se révèle philosophe, physicien, psychologue ou juste amoureux du sport - De l’art de prendre la balle au bond est un authentique traité de plaisir, d’apprentissage, d’humour.« Quand la balle arrive, pour bien la renvoyer, il faut la prendre au centre du tamis. En littérature, c’est pareil. Si vous vous trompez sur le détail significatif, ça ne résonne pas », affirme l’auteur avec qui on peut être sûr que la balle est frappée au centre … et avec inspiration.

Pour conclure, je vous rappellerai chers lecteurs, que "De l'art de prendre la balle au bond", il est toujours plus facile de jouer avec les mots que de jouer sur les lignes! Fins limiers, nous nous entendons ;o)

Aucun commentaire: